Peut-être que ça aussi, ça plaira aux preux chevaliers du Groupe Cervantes...
Ecrit au retour de mon périple Rome - Albi - Rome en 2009 (soit 3700km).
"Madame ma Traction, merci.
Je ne suis pas macho. Je n'ai pas la conception que l'on "possède" des femmes, encore moins qu'on les "domine"... Est-ce pour cela que toi, ma vieille amante de 1951, ne m'a pas laissé tomber pendant notre périple estival jamais trop loin de la Méditerranée?
Et pourtant, il y en avait des tentations... Déjà cette jeune freluquette de DS 21 Pallas qui est partie avec nous de Rome. Heureusement qu'elle a craqué à Menton (même si j'étais triste de voir mes amis faire demi-tour à son volant). En plus il y avait la belle Rosalie, princière du haut de ses 75 ans, qui voyageait sur sa carrosse devant nous (car, il faut le dire, Madame, tu envoyais un peu trop d'huile sur sa calandre rutillante pour voyager devant...). Mais, non, tu n'as pas trahi.
Et puis voilà la Provence. Les oliviers, les pins parasols, les cigales et le pastis. Voilà que nous nous arrêtons à Vidauban et en veux-tu, en voilà! Des tractions partout: des légères, des normales, des anormales (15CV), des Orichineus, et même un cabriolet Mersch sur base '38 (moi j'aurais eu craqué... Grazie Elio!). Il y avait carrément le temps d'un amour, d'une amitié, pendant que les humains jasaient (comme on dit au Québec) sous l'ombre subtile des oliviers, grâce à un Olivier bien humain, pour ne pas oublier Gérard venu des Bouches-du-Rhône. Et tu ne m'as pas trahi.
Même pas le long de la Nationale 7 entre platanes et villages endormis, une des plus belles routes au monde (et tu le sais que j'ai bien voyagé dans ma vie...)
Je respirais à l'arrivée dans mon petit village blotti au fond de la garrigue. Enfin je pouvais t'enfermer la nuit chez mon ami René, loin des tentations, des fois que passait une SM, ou pire une CX, ou malheur!, une XM...
Mais voilà, il fallait repartir. Remonter le Rhône jusque dans la Drôme pour aller à l'encontre d'une petite suissesse chez l'hôte exceptionnel qui sait vendre des grilles, ma offrir des grillades. Et nous vous laissons ensemble au garage, Pierre, Patrick et moi. Il y avait tout le temps de s'inventer des caprices. Et bien non, tu ne m'as pas trahi.
Mais le pire était à venir. Nous partions pour le Tarn à travers Gard, Hérault et Aveyron. Et comme apéritif, il y avait une grande soeur qui t'attendait à vingt kilomètres du village: une charmante 11 large de 1939 avec son rouge à lèvre sur les roues. Et si ça ne suffisait pas, voilà une dévergondée de légère (jamais adjectif ne fut plus approprié, n'est-ce pas Jacques?) complètement maquillée avec ses roues à trous et ses phares en argent, qui nous accompagne au restaurant pour un moment de bonheur gastronomique que nous les humains adorons. Tu avais deux heures de temps... tu ne m'a pas trahi.
Et c'est alors que non seulement tu restais fidèle, mais tu révélais ton âme solidaire, quand la petite soeur suissesse pour la première fois de sa vie, allait à l'encontre de températures africaines sinon pire, que personne ne lui avait jamais contées. Et bien, tu as attendu patiemment que son pauvre radiateur se refroidisse, le long de ces belles routes départementales qui font honneur à la France, qui font bonheur aux voyageurs, qui invitent encore à l'aventure. Bien sûr, le road-book en a souffert, mais quel soulagement que d'arriver la nuit dans cette belle ferme du Tarn, où des amis, des vrais, nous attendaient patiemment avec leurs belles amantes stationnées dans la cour. Nous étions fatigués, je t'ai mis dans la grange, je n'ai pas fait gaffe. Pourtant j'ai entre-deviné des silhouettes alléchantes dans la pénombre. Mais tu ne m'a pas trahi.
Et puis nous sommes partis pour des journées de pur plaisir. Enlacer des tournants, s'enfiler dans de petites ruelles médiévales, faires de menus cols, longer ces fleuves majestueux et tranquilles qui sont l'âme du Midi, s'arrêter pour des expériences gastronomiques et dithyrambiques que seuls les Gaulois savent encore offrir au coin d'un village endormi, jouir d'apéritifs dinatoires (il n'y a pas de limites à la langue française...), découvrir qu'il y a des Romains (avec glaives et tuniques) là dans le Tarn, refaire le monde autour d'une bouteille... Et tout le temps, tu reposais sage et fidèle. Là, à deux pas d'une Hotchkiss Modane (et je n'insiste pas...), qui m'a presque fait craquer (moi et l'ami Pierre)! Comme quoi nous les hommes, c'est n'importe quoi (n'est-ce pas, Mesdames?)! Il y avait même une Citroën Stag V8 (modèle snobé par la marque...). Tu aurais pu profiter de ce mythique pique-nique au bord du Tarn, alors que sans vergogne nous chantions Brassens et Brel, Jean-Jacques, Michel, Claude, Isabelle, Pierre et les autres... Mais non, toi, tu n'as pas trahi.
Il fallut bien dire au revoir aux amis et à la petite suissesse et ceci à l'aube. Il suffit d'un appel de phares, subtil, humble, accompagné d'un stupide klaxon de ton patron, et nous voilà relancés en solitaire sur les routes désertes de l'Occitanie profonde. Il restait une dernière tentation. Dans un village si calme, si tranquille, si pépère qu'il ne pouvait s'appeler que Brusque, voilà venir à notre encontre une petite aguicheuse de légère toute blanche et noire sur les hanches, qui nous amène boire un café avec gâteau dans les contreforts des Monts de l'Espinouse (grazie Henri!). Il fleurait bon les années cinquante, n'est-ce pas, ma chère? Est-ce pour cela que tu n'as pas osé me trahir?
Il y eut encore au retour dans le Gard, cette belle soirée chez l'ami Jacques avec les autres fadas de Traction, et des merguez et du pastis et du rosé et des calembours et de l'amitié à foison. Mamma mia! Et toi sous les oliviers avec ta vieille connaissance, la 11 large 1939... Dois-je me répéter? C'était plutôt moi ce soir-là qui aurait eu envie de trahir. Trahir une existence trop prévisible, trahir des habitudes trop escomptées, trahir la tendance à rentrer dans les rangs, trahir un sens parfois inutile de la responsabilité. J'aurais voulu rester là dans le Midi à revoir tous ces amis, repartir à reculon, retourner dans le Tarn... Tu m'as regardé de tes deux phares silencieux, j'ai cru voir un clin d'oeil. Il était temps de repartir. Il y avait encore quelques mille kilomètres à faire. Tu ne pouvais pas me trahir.
Enifn, cette journée inoubliable. Saint-Hilaire, Pont Saint-Esprit, Bollène, Nyons, Gap, Barcelonnette et là, un arrêt sérieux. Je suis descendu de la voiture, je t'ai regardé dans la calandre, je t'ai expliqué qu'il s'agissait d'un col... alpin... à 2000 mètres. Tu m'as regardé avec tendresse: "pauvre petit, c'est pas maintenant que je vais te laisser tomber!"
Excuse me, lady!
Tu ne m'as pas trahi. Ni au somment du Col de Larche, ni pendant la descente sur Cuneo, ni à Chiavari pour la nuit, ni sur l'autoroute angoissante de la Ligurie, ni dans la canicule toscane, ni à l'approche de la ville éternelle. Tu m'as ramené au bercail sans problèmes, comme si nous n'avions fait qu'une petite sortie sur le littoral romain...
Bon, tu as bu quatre litres d'huile et quatre litres d'eau. Ce n'est rien par rapport à ma consommation personnelle (de vin...). L'avant-dernier soir, tu as fléchi légèrement de ta roue avant gauche, mais il y avait ta belle roue sous la malle plate et le problème n'existait plus.
Alors, ma bien-aimée, que soit bénie ton alchimie, que les dieux du métal et de l'acier soient loués, qu'un certain André repose heureux au paradis des automobiles. Il existe un objet roulant qui défie le réductionisme tonitruant de la modernité. C'est un objet qui rassemble, qui rend joyeux, qui communique la bonne humeur
."Ma Traction est une 11 B de 1951. La voilà à l'aube aux Rantières (près d'Albi) et en bonne compagnie...
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