Personnellement (et donc ce n'est qu'un avis qui ne concerne que moi), tout en étant risk manager de profession, je ne suis pas pour la réduction totale du risque. On a voulu bien faire en faisant vivre les enfants dans des milieux parfaitement contrôlés, on commence à se rendre compte que ceux qui vivent dans les conditions d'hygiène discutables des fermes ont une bien meilleure immunité. Les US interdisent les fromages au lait cru, résultat, si vous leur donnez une part de délicieux Camembert au lait cru, ils vont avoir une tourista de folie et vous coller un procès pour tentative de meurtre. C'est notre société avec les antibios à tout va qui est entrain de créer les bactéries multirésistantes qui vont nous tuer demain. Donc on voit bien que la recherche de la sécurité ayatolesque est souvent contreproductive.
A mon sens, les extrêmes sont mauvais, quel qu'en soit le sens. Je ne suis pas un trompe la mort mais je ne cherche pas le risque 0 qui est à mon avis une utopie voire contreproductif. Donc sur mes autos de tous les jours qui font 60 000 bornes chaque année, en toutes conditions de route que je ne vais pas forcément maitriser (grand départs, mauvaise météo, haute vitesse), là je ne rigole pas: airbags à tous les étages, meilleurs performances possibles au crash test, appel auto des secours avec géolocalisation de l'épave, sièges auto des filles énormes (prennent les 3 places AR pour seulement 2 sièges tellement les zones d'absorption des impacts latéraux sont imposantes), etc... Et ces autos sont équipées de tout le fatras ABS, ESP (déconnectables car dans certaines circonstances, le remède est pire que le mal), radar anticollision, camera vision nocturne et autre réjouissances. Je le fais car c'est là que se situe ma forte exposition au risque via la quantité de kilomètres et donc le facteur limitant de mon profil de risque.
En revanche, pour mes loisirs, je fais un faible nombre de kilomètres et un nombre encore plus faible de kilomètres avec mes filles à bord. Et ces kilomètres sont effectués sur des routes choisies, de jour, par beau temps. Mon exposition au risque se trouve réduite de ce fait à un niveau faible et ne nécessite à mon sens pas de surprotection car leur effet sur mon risque global serait négligeable. Par ailleurs, cette absence de ceintures a un effet important sur l'éducation de mes filles: elles ont découvert sur le cuir glissant de la 15 l'importance de s'occuper de la route même en temps que passagères car elles doivent activement se tenir et anticiper les effets de la conduite. Elles découvrent aussi le plaisir de pouvoir faire coucou aux autres voitures par la vitre arrière qui fait partie du plaisir des anciennes et participe à la transmission de la culture.
Dans un autre domaine, j'ai pu constater quand j'étais ado que mes camarades qui étaient surprotégés par leurs parents étaient par exemple les premiers à avoir des problèmes avec l'alcool sur lequel ils se jetaient dès que l'attention se relâchait. Personnellement, l'alcool a toujours été à disposition à la maison quand j'étais enfant et donc je n'ai jamais ressenti le besoin de me jeter dessus. Et mes filles goutent régulièrement le vin de mon verre et on discute ouvertement du fait que c'est pas une bonne idée d'en boire trop. Et ces mêmes copains ados surprotégés étaient ceux qui se prenaient des gamelles monumentales en ski, voire des avalanches car ils n'avaient pas du tout conscience du risque du fait de leur surprotection pendant leur éducation. Donc effectivement, j'apprends à mes filles à se servir d'une allumette quand les autres parents planquent ces dernières. J'apprends à mes filles à bosser avec des outils dangereux quand les autres les mettent hors de portée. J'apprendrai à mes filles la conduite politiquement incorrecte au même titre que mon examinateur de permis moto m'avait donné des consignes on ne peut plus claires de violation crasse des lois le jour du passage du permis A car ce qui l'intéressait, c'était pas de voir comment je conduis doucement car il était pas dupe et savait très bien que le papier en poche, j'irais faire le con mais de voir mon niveau de maitrise dans les conditions réelles avec lesquelles j'allais utiliser mon permis. Je m'attache particulièrement à ce que mes files sachent gérer des chiens pas suréduqués comme on en trouve dans les fermes, se comporter face une vache (à 6 ans, la grande du haut de son mètre 20 et ses moins de 20 kgs, elle peut rentrer une vache dans une étable sans se prendre un coup de sabot, se faire écraser contre une paroi, elle sait en traversant un champ détecter si y'a des veaux ou un taureau. Et ce résultat, on ne l'obtient pas avec une soustraction au risque mais au contraire avec une exposition et une prise de conscience. Bref, c'est un peu l'idée du vaccin: on s'expose à la maladie dans des conditions contrôlées (bactérie affaiblie). J'expose mes filles aux dangers de la route dans des conditions telles que le risque est inférieur au risque usuel qu'elles courent: c'est suffisant pour les sensibiliser et assez peu pour pas que ca ne change leur espérance de vie. Ca fait que mes filles sont très sensibilisées au risque lié aux voitures: elles savent que toutes les autos n'ont pas de phares de recul, signalent si elles n'ont pas pu s'accrocher. Si elles ne le sont pas, elles regardent la route qu'elles savent lire. La grande sait même rétrograder à bon escient avec la boite auto (je lui donne la gestion du levier de boite quand on descend à l'école).
Alors c'est sur, toutes ces bonnes paroles ne me mettent pas à l'abri d'un coup de pas de chance, un gars bourré qui arrive en face. Mais la vraie question à se poser, c'est de savoir si on va se priver de tout ce qui peut mal tourner: arrêter de voyager car on peut chopper des maladies? Rester chez soi car bouger, c'est intrinsèquement dangereux? Ne pas sortir en forêt car on peut se prendre une branche ou se faire empaler par un prédateur? Ne pas aller dans un lieu public car il pourrait être la cible d'un attentat? Ne plus skier à cause des avalanches et risques de choc? Ne plus boire de pinard car c'est mauvais à la santé et potentiellement addictif? Ne plus manger de gateaux car à terme, le diabète nous guette? Ce serait effectivement le plus raisonnable à faire. Mais ce serait aussi ne plus vivre... Bref, pour moi, l'idée est de limiter le risque idiot mais de m'autoriser le risque raisonnablement contrôlé. Le risque, ce n'est pas que l'impact, c'est le produit de impact par la fréquence. C'est pour ca que quand j'ai acheté ma première Porsche, son assurance était moitié moins chère que ma GTI d'avant. Certes, un vol coute infiniment plus cher à l'assurance que le vol d'une GTI, mais ce vol étant nettement moins fréquent, au final le risque est moindre. Donc utiliser quotidiennement la Traction pour aller chercher mes filles à l'école, jamais de la vie, même avec une ceinture qui ne résoudrait qu'une petite partie du problème. La fréquence est trop importante pour pouvoir jouer avec ca, les conditions non choisies (météo, fréquentation de la route par ailleurs pas adaptée à une traction). Mais faire 30 bornes avec mes filles en traction de temps en temps sans ceintures, je n'ai pas le moindre état d'âme car la fréquence est tellement faible que le risque objectif est à peine mesurable et le bénéfice de la sensibilisation à la sécurité l'emporte à mon avis. Après, ce que je viens de décrire ci dessus, c'est ce qu'on appelle en théorie des risques l'appétit au risque et c'est quelque chose de très personnel. Donc mon appétit n'a aucune raison d'être le même que celui des autres. C'est juste qu'il es important de bien déterminer le votre en ayant conscience du risque réel que vous prenez en l'absence de ceintures (honnêtement, la structure même d'une traction est une terreur comparée à ce qu'on fait aujourd'hui) et en faisant attention au fait que la non exposition au risque n'est pas forcément protecteur.
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