Le Pitroën 05
Comme convenu…
I) Passion, custom et copie :
Le custom :
De tous temps, les conducteurs ont souhaité personnaliser leurs voitures. Pour moi cette démarche va avec une notion d’usage au présent. Lorsqu’on circule au volant d’une Clio grise au milieu de cent Clio grises, je comprends que l’on ait envie de différence. Les customs se font souvent sur des voitures au bas de la cote argus. Je suis stupéfait du budget consacré pour tuner une malheureuse Peugeot 405. Pour la Traction, il me semble que sa différence technologique d’époque doit suffire à satisfaire ce besoin. Je suis d’accord qu’aligner vingt Tractions 11BL 1951 n’a pas grand intérêt historique (sauf qu’on s’intéresserait enfin plus au tractionniste !). Au contraire, je ne veux pas que ma Traction soit plus confortable, plus silencieuse, plus fiable, plus belle, plus performante : je veux qu’elle soit une Traction et que la différence de son identité éclate à la face du monde. Si je parviens à la conduire sans la détruire, alors j’aurai réussi mon pari de la comprendre et de la maîtriser. Cela étant, un volant Quillery est un custom d’époque qui peut avoir été choisi au cours de la Vie Utile de la voiture (cf. Revue TA n° 58 pour cette notion). Puisqu’ils font partie de l’histoire de la voiture, il faut conserver ces accessoires. Par contre, une Traction avec moteur DS, circuit 12 volts n’est plus une Traction, c’est une "Tradsion". Il faudra la dévaluer du montant exact des travaux à entreprendre pour la remettre en état.
La copie :
La copie ou réplique est une démarche différente. La volonté est de reconstituer à l’identique un objet qui a existé. La re-création est totale dans l’acte mais partielle dans l’idée (l’original existant) alors qu’un custom est plus proche de la création. Je m’appuierai sur l’excellent dossier paru dans Beaux Arts Magazine de Septembre 2009 intitulé le "Faux dans l’Art". Comme l’auteur Thomas Schlesser, je crois que la passion va avec la notion de sacré. Le faux dévoie cette notion, par ex : fausses reliques. La copie tue l’œuvre de l’auteur. Le rôle de la science, celui de l’historien, est d’ouvrir les yeux sur les croyances et engouements, « d’ébranler les adulations béates et spéculations délirantes en les mettant à l’épreuve du savoir ». L’arrivée du faux va de pair avec l’augmentation de valeur du vrai, l’apparition d’un marché et d’ateliers de reproduction, ex. : le marché des roadsters Traction. Il y a désir de celui qui ne peut pas se payer un vrai de se faire un faux, dit l’auteur. Il distingue quatre faux en art : la copie qui passe pour un original par malice ou mégarde, le pastiche qui s’inspire d’un style sans le copier en totalité, l’œuvre originale mais attribuée à un autre et… l’intervention extérieure altérant l’originalité. Ce dernier point concerne la vague d’optimisation des voitures. Il est évident que rajouter du jaune sur un Monet en fait une vulgaire croûte. L’auteur dit que le goût pour le faux est aussi un goût pour l’argent (notion de "valoir autant qu’un vrai") ce que l’historien doit dénoncer et ce que le faussaire doit avouer. Car le souci est qu’un faux devienne par sa rareté une authentique création à laquelle on prête pouvoir et destin. Un réseau d’anti-faux existe en art. Il doit exister aussi dans le domaine des véhicules anciens. Le site
http://www.3cs.fr poursuit cet objectif ambitieux et nous l’encourageons.
Copier, c’est refuser d’innover. Mais il me semble moins grave de copier que d’innover, c’est-à-dire d’optimiser. La novation dans le domaine des véhicules anciens est un non-sens. C’est mettre une rustine sur un véhicule qui, par essence, est ancien et dépassé (merci Pierre 51-56 !). Moderniser un véhicule ancien, c’est aller à l’encontre de son identité en tant que témoin historique. C’est le ravaler au rang de simple outil. Il est alors normal de lui conférer une valeur moindre. Voilà aussi pourquoi je suis convaincu que les véhicules conformes à leur millésime coteront de plus en plus à l’avenir.
L’origine :
Relisez la rubrique Antibrouillard des revues TA 56 à 61. Dans le TA 59 de 2003 je disais que la notion d’Origine n’avait rien à voir avec les notions "d’authentique ou de série" mais était plus large. Il me semble évident qu’un volant Quillery installé dès la sortie d’usine de la voiture est immédiatement réputé d’origine. Maintenant est-il possible de tirailler en tous sens cette notion ? Oui. L’ouvrage de Stéphane Ferret reprend le mythe du bateau de Thésée ou problème de l’identité à travers le temps :
Les Athéniens gardèrent longtemps le navire de Thésée, précise Plutarque “ en ôtant toujours les vieilles pièces de bois, à mesure qu’elles pourrissaient, et en y remettant des neuves à la place ”. Après tant de réparations, de remplacements et de substitutions, s’agissait-il encore du même bateau ? “ Les uns maintenaient que c’était le même vaisseau, les autres, soutenaient que non. ”. L’auteur prend l’exemple de deux bateaux rouge et bleu composés de 1000 pièces de bois supposées identiques et amarrés à deux pontons distants de quelques centaines de mètres. Chaque jour des ouvriers intervertissent une pièce de bois sur chacun des navires. Au bout de 1000 jours, les deux navires ont changé de place sans naviguer. Mais lorsqu’il y a 500 pièces bleues sur le rouge et 500 pièces rouges sur le bleu, sont-ce les mêmes bateaux ? La réponse semble donc être dans la limite. Perdre un cheveu ne rend pas chauve. Mais à partir de combien de cheveux perdus cesse-t-on d’être chevelu ?
Nos voitures étant des fabrications industrielles en grande série, la question se pose moins : il suffit de remplacer le carburateur Solex abîmé par un carburateur de la même année et la restauration est complète. Se pose la question des reconstructions de roadsters à partir de pièces d’origine mais éparses (par ex : un caisson arrière et des plaques de série). Il faudra déterminer le pourcentage des pièces neuves ou refabriquées par rapport à celle d’origine et là encore je crois à la valeur de l’origine. Maintenant, à partir de combien de pièces optimisées une Traction cesse d’être une Traction ? Un alternateur change peu la voiture. Un circuit 12 volts, un autre moteur, une autre boîte, même s’ils restent démontables la changent structurellement. L’argument de réversibilité est donc caduc au regard des heures de MO pour remettre en conformité...
II) Les gardiens du temple :
Ayatollah, extrémiste, sectaire, puriste, gardien du temple, que n’ai-je entendu à chacune de mes interventions sur le thème de l’Origine ou de la boîte 4…
Au-delà du côté blessant des mots, je rappelle que j’ai toujours commenté certains choix sous l’angle technico-juridico-historique mais jamais sur le thème du choix personnel, du goût ou de la beauté car ce qui vaut pour moi ne vaut pas pour autrui. Hannah Arendt dit que « le totalitarisme ne tend pas à soumettre les hommes à des règles despotiques mais à un système dans lequel les hommes sont superflus ». Etant bien loin de cela, je ne me suis jamais senti atteint. Chacun est libre. Je dis seulement que si l’on aime sa Traction juste pour l’améliorer alors il faut changer de monture car la Traction vaut bien mieux que cela. Ce respect est, pour moi, le fondement même de notre passion. Dans la méconnaissance du Code de la Route sur les transformations des véhicules (par les professionnels et globe-trotters) et les réactions puériles au rappel de la Loi (faite pour tous), je retrouve dérives sociétales et impostures connues. Dans le film « Thank you for smoking », le représentant d’un marchand de cigarette déclare à un opposant farouche au tabac :
« Imaginons que tu préfères le chocolat et moi la vanille. Tu vas argumenter pour me dire que le chocolat est meilleur et moi que la vanille est meilleure. Et bien tu as tort. Car moi je veux plus que cela : je veux avoir le choix. ». L’opposant anti-tabac sort estomaqué de cette dialectique. C’est exactement ce que j’ai subi sur l’autre forum. En défendant la boite 3, je n’ai pas défendu mes idées, j’ai défendu le respect de la loi. A cette loi, on m’a opposé (chocolat contre vanille) la liberté, dont celle, plus forte, de transgresser. Or la loi n’est-elle pas la base de notre démocratie ? S’il est interdit d’interdire, tout est permis et c’est l’anarchie... qui conduit à la tyrannie. Mais imposer est une autre tyrannie. La limite est mince. Voici pourquoi je me contente de poster mon avis sans jamais avoir envie de changer la vie des gens. A contrario je n’ai trouvé personne pour soutenir ma démarche et je trouve cela grave. Lorsqu’on a interdit de fumer dans les lieux professionnels et publics, j’ai pensé que c’était un scandale puisqu’on touchait au privé. Ensuite je me suis placé du côté du non-fumeur et j’ai trouvé que celui-ci n'avait pas à subir ce préjudice. Je me suis donc rallié au bon sens.
J’entends à la radio le commentaire d’un ressortissant de pays opprimé : "quand certaines personnes se mêlent de ce qui est bon pour les autres, il y a un problème". Je suis d’accord avec cette assertion sauf qu’ici il n’est nullement question de respect d’origine, de privé, mais de respect de la loi. L’ouvrage de Florence Aubenas et Miguel Benasayag "La fabrication de l’information" note qu’il y a une différence entre "je regarde" et "cela me regarde", la tendance actuelle étant à la passivité (permissivité) dont se nourrissent les médias. Sur l’autre forum, 99% ont regardé. J’ai décidé que cela me regardait de dénoncer les modifications illégales sur Traction. Laisser promouvoir le montage d’une boite 4 sans rappeler qu’il faut passer aux Mines est inacceptable. Car c’est peut-être bon pour soi ou son petit plaisir mais ce n’est pas bon pour les autres. Un jour, je sais que j’arriverai en face sur la route. Alors "gardien du temple"..... bah, si ça exonère certains d'endosser cette responsabilité (au sens de "répondre de"), pourquoi pas, hein ! En conclusion, je dirais qu’il est plus facile de changer sa Traction (cette saleté de machine qui "ne va pas") que de changer sa façon de voir les choses. Or c’est exactement l’inverse qu’il faudrait faire : reconnaître notre incapacité à la faire marcher comme elle devrait (d’autant que la Traction n’a rien demandé). Ceci est ma réponse engagée à un certain post sur l’utilité d’Internet qui, selon l'auteur, ne doit pas servir de thérapie pour certaines "déficiences".
Heureusement mes interventions "remuantes" ont été, sont, seront bien peu de choses face à ce qui nous attend en matière de préservation du patrimoine face à la montée de l’écologie, du partage des richesses, du capitalisme repensé. Nous serons en retard et il faudra gérer en catastrophe… comme d’habitude.
A suivre…