Ce lundi, j'échange une de mes belles d'été contre ma belle d'hiver: Remise du cab 504 et retour d'Onzam' à la maison. J'ai 200Km à faire.
Légère angoisse car Onzam' n'a pas tourné depuis juillet. Cosse de batterie, amorçage de la pompe à essence, méditation de circonstance sur le siège pour retrouver l'odeur de l'intérieur et le touché du petit Bibendum porte clé au creux de la main. Plein retard, demi starter, contact et tirette de démarreur...la magie opère toujours et la masse de fonte s'ébroue sur la compression.
Marche arrière et l'auto sort de sa remise. On referme les portes sur le ploup-ploup de péniche du ralenti avec starter. Petite manoeuvre, et c'est parti. On roule doucement, puis le chemin se transforme en petite route, puis nationale et on prend l'autoroute alors que le moteur est à bonne température, ça tombe bien.
C'est lundi, il fait beau et doux et la circulation est symbolique. La première redécouverte, comme à chaque fois, est l'incroyable confort de cette auto en regard de son dépouillement. Tout est souple, évident, pensé et bien conçu. Dans le jeu des reflets du soleil rasant d'hiver, je me vois en miroir dans les vitres. Installé comme un nabab, je mène ma machine du bout des doigts...Me revient en mémoire mon jeu fou des mes 18 ans: sur des rails à vitesse constante, elle tirait imperceptiblement à gauche à la retenue, et à droite à l'accélération. Je m'asseyais en place passager dans les longues lignes droites, un bras étendu sur les dossiers l'autre posé sur la portière, corrigeant légèrement la trajectoire du pied gauche sur l'accélérateur, pour contempler la tête épouvantée des conducteurs qui croisaient cette Traction sans chauffeur mais au passager imbécile.
Onzam' se cale seule sur son régime de croisière, oasis sonore et vibratoire qui me mène à la vitesse de croisière des poids lourds que je "remonte" sur de longs kilomètres puis double d'un coup de gaz qui déchaine les derniers chevaux, les plus rêtifs et râleurs, qui n'acceptent d'intervenir qu'à grand renfort de bruits et vibrations. Ma traction est un bourdon...
Le gros derche vaincu, rétroviseurisé impitoyablement par l'aïeulle, je lève le pied et le calme revient. La croisière continue, en s'amusant. On me double à qui mieux-mieux. Klaxons, pouces levés, appels de phares d'en face...Onzam' séduit comme une starlette. Quelques uns passent bien hautains dans leurs Japonaises à crédit. C'est pas grave, moi, je roule en légende alors que la tienne, c'est juste une bagnole...
Au bout d'une heure, je m'ennuie. Vite, on sort ! La fin du petit voyage se fera plutôt par la route. Qu'est ce que j'ai bien pu faire sur l'autoroute ? Là, je remonte le temps: Mais oui, rien n'a changé en 30 ans ! Je retrouve les mêmes pubs peintes, délavées, les mêmes fantômes de stations services, les mêmes platanes survivants, magnifiques dans le soleil d'automne. Là, il y avait une casse, plus loin un petit garage où j'avais été chiner de la pièce ou un bon tuyau. Ici, il y avait une épave dans le champ... Traversée de villages morts ou presque. J'avais tout oublié de cette route d'avant l'autoroute, de mes débuts et qui me menait vers mes vacances, mes copines ou mes errances. Quelques visages et prénoms reviennent à la surface et je souris seul au volant.
Un frisson me parcourt et me sort de la concentration de la conduite dans la petite ville que je traverse, la dernière avant la mienne: je passe devant la sortie d'un lycée et deux adolescents crient en me montrant du doigt: j'avais oublié que je suis dans une auto de martien, de décalé, achetée alors que j'avais leur âge. Elle était déjà bien démodée, et pourtant elle ne vieillira jamais !
Vous prenez des anti-dépresseurs ? Je préfère rouler
_________________ Olivier
Une traction n'a pas de cerveau, utilisez plutôt le vôtre. https://rouler-en-traction-avant.blog4ever.com/
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